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IMPORTANCE DU SOUTIEN DANS LA TRAVERSÉE DU DEUIL

Ce texte aborde le contexte dans lequel le deuil se déroule et le soutien nécessaire pour bien vivre le deuil.

Note aux lecteurs Si vous avez perdu un être cher ou si vous êtes sur le point de vivre cette expérience, il est fort probable que les réflexions qui suivent correspondent à des sentiments que vous éprouvez et que vous avez bien connus. Mes nombreuses années de clinicienne ainsi que la majorité des écrits sur le deuil sont au cœur de cette observation : les étapes et les états qui nous sont confiés par les personnes en situation de perte majeure varient en durée et en intensité, mais elles se recoupent de façon universelle. Toutefois, il existe des cas d'exception et au moment de vous livrer l'article que voici, je termine la lecture d'un livre magnifique, signé Marie de Hennezel. Mourir les yeux ouverts relate le processus du mourir et la mort du philosophe Yvan Amar. Marie de Hennezel nous propose un beau défi en témoignant de la richesse de cette expérience que je n'aurais pu passer sous silence. La conjointe d'Yvan, Nadège Amar, nous livre un message saisissant lorsqu'elle écrit : « Yvan m'a transmis la douceur de sa mort, la douceur des derniers jours de sa vie et la douceur qu'il portait en lui…J'avais imaginé qu'au moment de sa mort, c'est la douleur qui m'envahirait, mais… je n'ai pas eu mal. J'ai ressenti cette immense douceur. Je n'ai rien vécu de ce que je lis généralement à propos du deuil. Pas de colère, pas de frustration. J'ai dû choquer certaines personnes parce que je n'ai pas pleuré, je n'ai pas exprimé de regrets… » Peut-être que les cas d'exception incidemment sont ceux qui nous aideraient à nous tirer d'affaire lorsque la souffrance se fait grande et que la peur nous envahit. Cette lecture est percutante, elle est riche d'enseignement, on a envie de l'appliquer à l'art de vivre, l'art de mourir et l'art de transformer le deuil en une sagesse dont vous et moi serions aptes à découvrir. Ne pas fuir… ni le deuil ni l'endeuillé On dit de la mort qu'elle est une faucheuse et de l'endeuillé qu'il est un amputé. L'analogie avec le membre fantôme, invisible, voire arraché à soi, n'est pas banale. Elle rend compte de l'indicible, de cette difficulté à décrire les ravages personnels occasionnés par une perte significative. Le deuil! Tel est le prix élevé de l'attachement que nous consentons pour la plupart à investir tout au long d'une relation affective, fut-elle heureuse ou malheureuse, car l'absence de liens eut été pire que l'expérience de la perte. Le besoin obsessionnel de parler de l'être disparu est répandu et pressant; il peut être apaisé par un accueil de sa détresse, par une écoute de son appréhension, bref, par la bonté de ceux et celles qui veillent sur soi lorsque le deuil marque son entrée. Le parent ou l'ami qui endosse volontiers ce rôle, cette présence forte en l'absence du défunt, jette un baume sur une peine qui se traduit par des réactions infiniment variées, les plus connues étant le refus de la perte, la colère qui s'ensuit, les montées de chagrin, les regrets, le lourd sentiment de culpabilité, l'épuisement, et la peur de ne plus jamais pouvoir contacter sa propre joie de vivre, la perte de sens étant l'épicentre du séisme affectif. La bonté et la présence des proches de l'endeuillé agiraient alors comme un antidouleur puissant; on a tendance à l'oublier ou à minimiser son impact dans un monde où la technicité et le virtuel supplantent l'intimité et les liens privilégiés. L'expérience de nos ancêtres nous rappelle (ô combien) que les toutes petites attentions, la délicatesse des paroles et des gestes envers les personnes en deuil, apportaient un réconfort si naturel et spontané aux personnes blessées. Je dis blessées car le deuil n'est pas une maladie mais une cassure affective importante. Or, l'entraide communautaire, l'apport de chacun au sein d'une grande famille, l'importance accordée aux rites funéraires, la prise en charge par les directeurs spirituels et les responsables de pompes funèbres, constituent encore à ce jour les points d'ancrage nécessaires, mais malheureusement souvent éludés suite au décès d'un être cher. Prendre le temps d'absorber ensemble le choc de la perte irréversible, réunir les personnes désireuses de soutenir l'effort individuel et collectif de laisser partir le très proche vers le très loin, sont les assises d'un rite essentiel pour enclencher le processus de deuil et l'ajustement d'abord impromptu ensuite graduel à une vie bouleversée. Le sujet tabou de la mort pose un obstacle de taille aux survivants. La plupart des personnes en deuil sont submergées par la peine; aussi l'attitude généralisée de déni social, d'insensibilité ou d'évitement contribue-t-elle actuellement à prolonger l'esseulement des endeuillés alors qu'une présence même silencieuse offrirait sa part de réconfort. Il vaudrait mieux être là malgré un certain malaise que de renoncer à nos responsabilités sociales. Ce sont les bien portants, c'est-à-dire les non endeuillés, qui sont appelés à soutenir l'ami qui souffre, à lui manifester la sagesse de nos aïeux. Cette ressource humaine se love en chacun et pourra en temps et lieux rejaillir sur le terrain aride de l'endeuillé. La souffrance de l'endeuillé, si on pouvait vraiment la libérer, nous convoquerait à une pensée magique à laquelle il faut bien renoncer; il s'agit du fantasme de faire marche arrière que nous invoque le survivant : de grâce! ramenez-moi vite celui ou celle qu'on m’a enlevé, et si vous voulez vraiment m'aider, ramenez-le vivant! Mais aussitôt que l'endeuillé émerge de cet appel sans écho, il comprend bien que sa seule consolation aboutira dans l'enceinte de vos bras. L'accueil, l'écoute et la présence d'un environnement empathique, sympathique et aimant demeurent les moyens les plus puissants pour contrer l'impasse. L'étreinte contribuerait aussi à bâtir une aire d'apaisement. Recevoir l'endeuillé durant sa crise, le contenir dans son état complètement chamboulé, voilà la ligne de départ pour accompagner cet être déstabilisé face à la trajectoire de l'inconnu. Surtout, ne pas le secouer en l'incitant à hâter le pas, ou à réagir autrement, mais plutôt l'accompagner au rythme de son quotidien. La personne en deuil est littéralement prise en otage par une peine difficile à vociférer; aussi, la forcer à sortir prématurément de sa tanière pourrait à jamais la terrasser. C'est pourquoi le respect du rythme de chacun regorge d'importance dans l'avènement du deuil. Certains ont beaucoup aimé, d'autres ont manqué d'amour, mais tous ressentent une émotion qui s'apparente : le désir de vivre à nouveau cette relation avec recul et reconsidération. Par le truchement de la pensée, l'être humain se voit continuellement interpellé entre des sentiments paradoxaux au fil de ses relations affectives, heureuses ou malheureuses. Certains ont connu l'incompétence parentale, d'autres, l'ingratitude d'un enfant, la trahison d'une amie, l'insouciance d'un proche… et toutes ces réalités laissent à la fois des cicatrices et des parties intactes dans le for intérieur des survivants. La quête d'amour et de pardon s'inscrit donc dans un continuum qui déborde de la fin de la vie. Le survivant cherchera parfois à compléter l'œuvre du porté disparu, sinon à la réparer. Voilà pourquoi le mot succession revêt une aussi grande portée. Le deuil dit normal Quand la relation fut significative, il est tout à fait normal d'éprouver du désarroi en réaction à la perte. Les cauchemars, les doutes, le sentiment d'avoir été abandonné, ou d'avoir échoué, le repli sur soi, l'irritabilité, la conversation avec le disparu, la perte de sa propre identité, les troubles de sommeil ou de l'appétit, le marchandage avec Dieu, l'inaptitude ou le renoncement au plaisir, figurent parmi les réactions dites normales en temps de deuil même si parfois elles se manifestent par des comportements étranges, nouveaux et difficilement contrôlables dans le contexte de sa vie fracturée. La spécificité de la perte et ses représentations en sont tributaires. Le survivant se voit complètement effondré sous le poids de la mort de l'être aimé. Pour sortir de son affaissement, l'endeuillé cherche une main qui se tend vers lui. Durant son escalade, il a besoin d'un compagnon de route capable d'éclairer une voie d'échappement. Le parcours s'annonce olympique et les chutes et rechutes offrent peu de répit. Par bribes seulement, l'accalmie propose des rémissions psychiques mais l'ennui et le manque retentiront de façon sporadique, massive ou insidieuse surtout au cours de la première année suivant la perte. Le nombre d'anniversaires que marque une seule année apparaît infini sous la loupe des personnes en deuil. Faire face aux anniversaires sans l'Autre requiert un courage hors du commun. L'épreuve est gigantesque et les symboles reliés à chaque fête prennent une tout autre définition. Dès le commencement du travail de deuil, le face à face avec son propre rapport à la vie est affolant. Un remaniement existentiel s'impose. Rien ne sera plus comme avant, tout est à redécouvrir autrement. Survient aussi l'épreuve de la déception. Certains amis ou proches déçoivent, alors que de purs étrangers proposent étonnamment leur part de réconfort. Il arrive aussi que les gens de qui on espérait être entendu, compris ou soutenu, s'esquivent ou ne puissent absolument pas répondre à nos besoins ni à nos attentes. Ils sont maladroits, peu intéressés, absents ou incompréhensifs. Peut-être parce que l'endeuillé peut susciter en chacun de nous une certaine vulnérabilité, un sentiment d'impuissance et la peur contagieuse de perdre. Certains aidants dits naturels sur lesquels l'endeuillé avait spontanément misé, pour des raisons insondables ou insoupçonnées, apparaissent tout à coup artificiels voire inadaptés au regard de l'état de l'éprouvé. Le chaos relationnel provoque ainsi une solitude qui risque de s'accentuer tout particulièrement dans les premiers temps du deuil. L'endeuillé n'est pas en quête de solutions miracles; il ne peut non plus absorber les conseils, les théories ou les avis de tous et chacun. Son espace cognitif est suffisamment envahi par des pensées intrusives, par exemple, la reviviscence des derniers instants de la vie du défunt. La mémoire pour un temps reste coincée dans des séquences qui pourtant ne sont plus, et elle ne dégage pas systématiquement une place pour en stoker de nouvelles. Bref, l'attention d'une personne en deuil est fortement altérée, ce qui explique aussi que le contenu de nos propos ne fait pas le poids avec la douceur recherchée de notre voix ni avec la qualité d'une attitude aimante. L'endeuillé est hypersensible et, à l'image d'un animal blessé, il est perméable à l'ambiance que nous créerons sur mesure, celle qui nous relie directement à son chagrin, à sa déroute et à son besoin immédiat de sécurité affective. Le deuil dit compliqué Les circonstances autour de la perte sont des indices de deuils parfois compliqués. La perte soudaine d'un proche impliqué dans un événement traumatique, la perte à petit feu d'un enfant dont la maladie s'annonce fatale, le suicide, la mort par homicide, l'impossibilité de retracer le corps d'un être disparu, la mort occasionnée par une faute d'inadvertance, la mort d'un proche survenue peu de temps après une impasse relationnelle, la mort d'un être cher et de son personnage public, en sont quelques exemples. La complexité des phénomènes relatifs à la mort peut donc empêcher le processus d'intégration de la réalité de la perte. Cela se traduit ainsi : j'apprends qu'il est mort mais je ne le veux pas; d'ailleurs, je n'y crois pas. J'attends désespérément son retour. Pour amenuiser la souffrance liée au refus de la perte, il faudra recourir à différentes formes d'intégration, entre autres, à la pensée d'auteurs que l'on pourrait considérer comme des aidants intimes malgré leur absence physique dans la vie des endeuillés. Des phrases-chocs sont déposées dans de précieux livres; en les parcourant, l'endeuillé les reçoit à son rythme de lecteur. Des phrases comme celles sculptées par les mains de Bobin dans La plus que vive : « On peut donner bien des choses à ceux que l'on aime : des paroles, du repos, du plaisir. Tu m'as donné le plus précieux de tout : le manque »… Ou encore celle-ci : « Je voudrais regarder en face ce que je ne supporte pas, j'attends ton retour, c'est plus fort que moi, j'attends l'inattendu, quoi d'autre attendre, j'espère l'inespéré, quoi d'autre espérer, la vie, la vie, la vie ». Dans le deuil, le partage de sa peine favorise une forme de libération et de soulagement personnels. L'énigme de la mort cherche sa réponse dans les subtilités de la vie. Or, la présence pure et simple d'un entourage bien intentionné suffirait dans la majorité des cas à soulager la souffrance liée à la perte d'un être cher. Mais au-delà de cette bonne présence, parfois assurée par l'écoute téléphonique d'une personne inconnue mais compatissante, il se peut que les circonstances du deuil franchissent le seuil de tolérance et que certains survivants doivent alors faire appel à une aide spécialisée. Situations qui nécessitent de l'aide Même dans des situations de deuil dit normal, il arrive fréquemment que les proches sentent le besoin de consulter. Mais si la mort d'un être significatif entraîne une perte d'estime de soi, une auto-dévalorisation, une forme même subtile de destruction personnelle ou des projets suicidaires, voilà quelques indices de recours nécessaires à une aide extérieure. Des psychologues, des travailleurs sociaux, des prêtres ou des personnes formées en relation d'aide dans les situations de deuil peuvent intervenir et apporter leur soutien professionnel pour contrer la ténacité de la douleur et ses effets néfastes. Les personnes qui ont vécu des périodes dépressives ou qui souffrent d'une maladie mentale qui les fragilise, les vieillards devenus vulnérables et dépendants, les enfants pour qui l'expérience du détachement sain n'a pas encore fait son chemin, et toutes personnes n'ayant pas accès à un soutien naturel par leurs proches ni accès à leurs ressources intérieures, c'est-à-dire à la capacité ou le besoin d'être seules, figurent parmi les groupes dits à risque de voir s'aggraver leur état à la suite d'un deuil. De plus, certains deuils ne sont pas reconnus dans notre société. Le deuil clandestin d'un amant, le deuil non reconnu ou ridiculisé d'un partenaire homosexuel, le deuil d'un collègue de travail fortement investi, le deuil d'un animal de compagnie, le deuil d'un parent maltraitant, le deuil d'un enfant lourdement handicapé, le deuil d'un proche en milieu carcéral, le deuil par disparition, sont des pertes considérées illégitimes, cachées, méconnues, monstrueuses ou alors elles sont banalisées à cause de leur singularité. La peur généralisée de l'inconnu empêche certains individus de s'approcher de personnes affectées par des pertes spécifiques, faute d'identification personnelle et collective. Seule l'évolution d'une société apportera la sensibilité nécessaire à ces types de deuil inconsidérés. D'ici là, une prise en charge professionnelle ou communautaire est nécessaire et s'offre pour compenser l'absence d'appui familial ou la fuite de ses amis. D'autres phénomènes relatifs à la mort pourraient obstruer le travail de deuil. Par exemple, l'euthanasie et le suicide assisté affecteront-ils autrement la survie des endeuillés? L'avenir nous le précisera davantage; pour le moment, le deuil qui s'ensuit risque de demeurer tabou et ravageur à cause des questions morales, religieuses, philosophiques, psychologiques, légales et sociales qui les entourent. Le plus souvent, toutes circonstances confondues, une forte majorité de personnes en deuil expriment un sentiment de culpabilité à l'égard de la personne décédée, c'est-à-dire dans un sentiment qui s'élabore ainsi : aurais-je pu faire davantage pour éloigner sa mort? Pourquoi ai-je refusé d'éponger son front tout juste avant sa mort sous prétexte d'un épuisement personnel mais passager? Il est mort après avoir avalé un biscuit que je l'incitais à manger, l'aurais-je tué? Toutes ces questions pesantes, symboliques, horrifiantes mais normales dans les heures, les jours ou les semaines qui suivent un décès, quelles proportions prendront-elles, que deviendront-elles sous la pression d'un suicide assisté et à ce jour illégal au Canada? La question se pose chaque fois que la mort (et ce qui l'entoure) reste nébuleuse et isolée. De plus, le délaissement des funérailles traditionnelles, la tendance à désinvestir les rites d'au revoir, le foisonnement des possibilités qui s'offrent tous azimuts pour disposer hâtivement des cendres selon les volontés parfois farfelues du défunt ou selon les fantaisies de l'endeuillé, la vitesse à laquelle on nous incite à tourner la page et à passer à autre chose, l'individualisme qui inflige une forme de retrait, d'isolement ou de repli sur soi, ou encore la banalisation de la perte et de la peine sont au nombre des raisons qui parfois engouffrent les endeuillés dans un état de détresse insurmontable. C'est pourquoi des organismes, des entreprises funéraires, des groupes de rencontre, des professionnels de la santé, des équipes de soins, des bénévoles sensibilisés au phénomène de la perte, désormais se mobilisent pour aider les endeuillés en leur offrant des services d'information, d'écoute et d'intervention adaptés à leur situation et à leurs besoins. Par exemple, la direction du cimetière Notre-Dame-des-Neiges l'aura compris en bâtissant un congrès annuel ou biennal ouvert à la fois à la population et aux professionnels de la santé interpellés par la question du deuil et de l'espoir. Les associations pour prévenir le suicide et aider les familles de suicidés sont un autre exemple de concertation sociale lorsque la vie d'un concitoyen vient d'éclater. Les lignes d'écoute parrainées par des organismes à but non lucratif ou encore desservies par les unités de soins palliatifs qui logent un appel de soutien aux endeuillés, offrent un temps de qualité aux êtres esseulés. Les cellules d'urgence formées et habilitées à porter secours à des personnes sinistrées ou affectées par des pertes soudaines, catastrophiques et incalculables, augmentent d'année en année via une coopération géographique impressionnante et efficace. Toutes ces initiatives collectives ou individualisées remplacent en quelque sorte l'aide autrefois disponible au sein de nos propres familles, de nos quartiers ou de nos employeurs pour qui un être éprouvé les propulsait tout naturellement dans un élan de sollicitude spontané. Malheureusement, dans notre société québécoise, les valeurs d'entraide tendent à céder sous la pression de l'individualisme par opposition au souci de l'autre. Le chacun-pour-soi a fait et continue de faire beaucoup de dégâts. Qui me soignera, qui m'enterrera et qui se souviendra de moi? Voilà encore quelques questions alarmantes qui ne semblent pas susciter une attention préventive à la déshumanisation de nos rapports interpersonnels. Le slogan Vivre au présent! nous joue des tours puisque l'histoire de nos prédécesseurs ne semble pas nous guider vers le rassemblement et la solidarité. Côté humain, on observe une certaine détérioration. La haute performance des machines jette un voile sur la créativité personnelle et collective. Nos actions manquent actuellement de poésie et de tendresse, elles tombent dans le piège de l'appât du gain et encombrent notre quête inespérée de relations significatives. Ce bilan sombre explique en partie le peu d'énergie consacrée à la peine des autres. Pour y remédier, bon nombre d'individus commencent à réagir et à mettre sur pied des moyens et des mécanismes pour retrouver, sauvegarder et promouvoir nos valeurs de base dont on ne pourra encore longtemps se priver : la chaleur humaine, la générosité, la sollicitude, la collaboration, l'entraide, l'engagement, le partage et l'amour sont des repères qui refont précisément surface lorsqu'une vie tire à sa fin ou vient de nous être arrachée. Des pistes pour demain Toute personne ayant vécu l'épreuve du deuil, sauf pour un certain nombre désireux de traverser l'épreuve seul et tout aussi sereinement, affirme que le soutien de l'entourage permet de garder le cap et de croire en des lendemains moins douloureux. Mais l'absence de proches ou leur incapacité d'offrir ce lien de réconfort demeure une réalité de la vie moderne qui, à tort, prône l'individualisme, une attitude qui ne doit pas être confondue avec la capacité d'être seul. Le recours à des groupes ou à des organismes de soutien sera de plus en plus exploité au cours des prochaines années. Il en est ainsi à cause du style de nos vies. Mais aussi, parce que le deuil touche tous les membres d'une même famille différemment, l'aide que l'un voudrait apporter à l'autre devient un besoin que chaque membre revendique pour lui-même. La satisfaction de son vécu ou la découverte d'un sens à sa vie relève de principes spécifiques que l'on associe au bonheur : le don de soi, l'élan vers l'autre, le sentiment d'être utile, le plaisir d'aider, l'intimité, la fluidité, le soin et l'engagement relationnels, la communication authentique, la rencontre structurante, l'ouverture à l'imprévu, l'accueil de la différence, l'abandon corporel, c'est-à-dire cette formidable capacité pour l'humain de transcender sa dure réalité, figurent parmi les richesses internes garantes d'une santé psychique, une sorte de triomphe spirituel par-delà les pertes cumulées. Nous n'insisterons jamais assez : le deuil est une épreuve marquante, il entraîne chaque personne dans des états et des étapes classiques dont le choc, l'incrédulité, la déstabilisation, la perte de motivation, le long travail de reconstruction et la quête d'une paix intérieure. Pour soulager pareils tourments, à elle seule la présence de personnes touchées par le deuil de l'autre, à des moments circonscrits, inopinés ou échelonnés au fil des ans, apportera un soutien inestimable à l'être éprouvé. L'ambivalence des sentiments, la peur de rester à jamais brisé, l'expression de ses réactions parfois saugrenues, les troubles de l'appétit et du sommeil, le grand épuisement, la fragilité émotionnelle, les ravages cognitifs, la crise existentielle entraînant le remaniement de ses croyances et de ses valeurs, la transformation de son identité par un retour à sa Vie sans l'Autre, voilà encore les composantes du travail de deuil qui, à plus long terme, ressusciteront les forces du moi. Enfin, la résolution du deuil s'effectue en partie par la transmission de l'héritage affectif. Cette phase, développée par Jean Monbourquette, se concrétise par l'intégration des qualités du défunt et de son enseignement, par la continuité de son œuvre, de ses talents ou de sa pensée, un véritable legs préalable à l'élaboration de nos propres réalisations. Si la mort soustrait à jamais la présence physique de l'être aimé, elle ne réussira point à tuer le souvenir d'une vie qui a transformé la sienne propre. Autrement dit, sans le passage de l'être qui n'est plus, nous ne serions pas ce que chacun est appelé à devenir. J'aimerais conclure sur cette phrase magnifique de Georges Bernanos : « On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou même les uns à la place des autres, qui sait? Johanne de Montigny Psychologue, Centre universitaire de santé Mc Gill, Unité de soins palliatifs, Hôpital Général de Montréal. jo.de.montigny@videotron.ca


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